Port-au-Prince, ce 2 mars 2015
Monsieur le Premier Ministre,
Lors d’une visite de routine au village Lumane Casimir, le projet phare de l’administration Martelly-Lamothe en matière de construction de logements après le séisme meurtrier du 12 janvier 2010, l’équipe de l’Observatoire du logement en Haïti a recueilli des témoignages accablants concernant la gestion de ce site et le respect des droits élémentaires de certains résidents.
Le résultat de notre enquête a été publié sur notre site internet puis repris entre autres par le quotidien national Le Nouvelliste, dans son édition papier du 5 février 2015 ainsi que sur son propre site. Nous sommes donc en droit de penser que vous en avez pris connaissance. D’autant qu’Amnesty International avait également évoqué la situation dans un rapport publié antérieurement.
Pour mémoire, cependant, nous y signalions les faits suivants :
– absence de bail remis aux locataires
– rétention d’un double des clefs par l’unité gestionnaire
– manque de clarté quant au montant du loyer requis auprès de chaque famille
– violences à l’égard des habitants manifestant sur le site pour l’amélioration de leurs conditions de logement.
Sur ce dernier point, nous avons rencontré Fenel Clotaire et Johnny Dauphinay. Ces deux habitants de Lumane Casimir ont été arrêté le 30 juin, sans mandat d’amener, sur l’ordre notoire du directeur de l’UCLBP, juste avant l’organisation d’une manifestation pacifique et démocratique.
Mr Clotaire a passé 7 mois en prison, avant d’être libéré par une ordonnance de non-lieu en janvier dernier. Mr Dauphinay, a, lui, été libéré en août (avant de bénéficier de la même ordonnance de non-lieu) pour raison de santé : il a en effet été victime d’un tir par arme à feu, au sein même de la prison de Croix-des-Bouquets, lors de la fameuse « évasion » d’août 2014. Depuis lors, et malgré cinq interventions chirurgicales, il n’a toujours pas recouvré l’usage de sa jambe.
Les familles de ces deux citoyens (qui dans l’intervalle ont également perdu leur emploi) ont été expulsées de leur logement et ont dépensé toutes leurs économies pour obtenir leur libération de prison. Elles sont aujourd’hui à la rue. Parmi eux des enfants en bas âge, et une mère handicapée, à qui le secrétaire d’Etat aux personnes handicapées avait attribué le logement qui abritait Johnny Dauphinay. Une troisième famille, celle d’un aveugle, que nous n’avons pu localiser, aurait également été expulsée suite à l’expression de revendications sur les ondes radiophoniques.
Nous ne pouvons accepter qu’un tel sort soit réservé à des familles, victimes du séisme et qui, comme toutes les familles haïtiennes, luttent chaque jour pour nourrir et protéger leurs enfants, travaillent durement à l’amélioration de leurs conditions de vie et se mobilisent pour revendiquer le respect de leurs droits.
L’UCLBP, gestionnaire du site Lumane Casimir étant directement rattachée à la Primature, nous vous demandons instamment :
– de faire cesser ces méthodes inhumaines et non respectueuses du droit auquel Haïti a souscrit au travers de sa constitution et de diverses conventions internationales.
– qu’une solution soit trouvée pour le relogement de ces familles jetées sur le pavé par une institution d’Etat et qu’une compensation financière leur soit attribuée pour réparation des préjudices subis.
Ici nous nous adressons autant au Premier Ministre qu’à l’homme politique qui a connu la prison et la torture sous les régimes autoritaires passés afin de vous demander le rétablissement des familles Clotaire, Dauphinay et de tout autre famille victime de ces mauvais agissements dans leurs droits.
Par ailleurs, nous souhaitons ardemment que toute la lumière soit faite sur le village Lumane Casimir, tant sur sa construction par la firme dominicaine HADOM, que sur sa gestion par l’UCLBP, via un audit non partisan.
Nous vous demandons enfin de faire diligence pour qu’une gestion plus adaptée à la situation des habitants du village, en grande majorité victimes du séisme, soit mise en place le plus rapidement possible.
Monsieur le Premier Ministre, nous attendons de vous des réponses urgentes. Nous nous tenons à votre disposition pour toute discussion se rapportant au logement ainsi qu’à la situation particulière des familles évoquées plus haut et nous profitons de l’occasion pour vous souhaiter tous nos vœux de succès, dans l’intérêt et uniquement dans l’intérêt de la nation haïtienne.
Patriotiquement vôtre
Joël Jean-Baptiste
Secrétaire Général de MOSOSAH, association porteuse du projet Observatoire du logement en Haïti
[Télécharger et faire circuler notre lettre ouverte a Evans Paul]